Les dynamiques territoriales de l'innovation sociale

Présentation du projet de recherche

L'innovation sociale est une préoccupation contemporaine. A travers les crises - économiques, sociales et environnementales – que notre société traverse actuellement, synonymes d’inégalités croissantes et de précarisation, ce sont les limites du modèle économique dominant qui apparaissent. Et face à cette « montée des incertitudes 1 » en matière d'activités et d'emplois, les acteurs imaginent des solutions de consommation plus durables. A ce titre, les AMAP, les jardins partagés ou les monnaies locales apportent une réponse à un besoin peu ou mal satisfait généré par la demande sociale. En ce sens, elles constituent des innovations sociales.

L'innovation sociale est à la fois un produit et un moteur des évolutions de notre société : les changements sociaux génèrent des innovations sociales qui se traduisent par de nouvelles pratiques et modes de pensée ; impliquant de nouveau un changement social. « Elle constitue, dans sa créativité inhérente, une rupture avec l’existant 2». L’innovation, quelle soit technologique ou sociale apparaît donc, en référence à Joseph Shumpeter 3, comme une création destructrice.

L'innovation sociale n'émerge pas dans un contexte concurrentiel basé sur la recherche de profit. Au contraire, elle apparaît dans une situation où les acteurs ont la volonté de trouver ensemble, par l'expérimentation, des réponses à un problème social identifié collectivement. L’innovation sociale a pour ambition de réussir là où ni l'État, ni le marché, ne peuvent apporter seuls des réponses satisfaisantes. Face à des enjeux de société complexes et cruciaux, la réponse ne peut donc être que collective, impliquant l’ensemble des acteurs concernés : publics, privés et usagers.

Les innovations sociales se définissent par leur finalité « sociale » mais aussi leur processus d'émergence nécessairement ouvert, collaboratif, basé sur les échanges sociaux.

Ces pratiques collaboratives ne sont pas nouvelles. Pourtant, elles pénètrent aujourd'hui les différents milieux de notre société : entreprises, associations mais aussi collectivités4 font appel à la méthodologie collaborative pour imaginer les services de demain. Avec le développement du numérique, une méthodologie de la coopération a ainsi émergé et s'est rapidement diffusée dans notre société. En moins de dix ans, Wikipedia est devenu une référence, prouvant que la collaboration de milliers de personnes est possible. Au croisement du faire ensemble et des biens communs, ces pratiques s'élargissent aujourd'hui à de nouveaux domaines. L’émergence du mouvement de la consommation collaborative, de l'ouverture des données publiques (mouvement OpenData) ou encore l'essor des Fablabs témoignent de l'intérêt porté par la société pour ces nouveaux espaces d'innovation. Des nouveaux savoirs et savoir-faire se dessinent et favorisent l'appropriation sociale des sciences et techniques. La collaboration met en exergue l'intelligence collective et la production de savoirs issus de l'expérimentation. Appliquées aux problèmes sociaux, ces pratiques ouvrent une nouvelle grammaire : l'innovation sociale ouverte.

L'innovation sociale apparaît aujourd'hui comme vecteur de solutions efficaces, justes et durables pour nos sociétés, en prise avec de nombreuses difficultés. L'Union européenne qualifie même l’innovation sociale d' « outil pertinent pour la mise en oeuvre de la stratégie européenne pour une société intelligente, durable et inclusive »5.

Cependant, les innovations sociales se présentent souvent comme un ensemble de micro-projets isolés et fragiles. Se pose alors la question de la pérennisation des actions et de leur généralisation, pour dépasser les projets de proximité et passer à l'échelle. Cet aspect interroge les dynamiques territoriales et leurs capacités à soutenir les innovations sociales tout au long du processus d'émergence.

Le territoire, considéré comme un espace de ressources, est le point d'appui de la mobilisation d'acteurs organisés en collectifs ou en réseaux. Comme le souligne les chercheurs du CRISES, « Le territoire médiatise et institue des arrangements d’acteurs productifs, des organisations, des processus décisionnels, permettant l’émergence de cultures d’innovation spécifiques, mais pas isolés ni indépendants de contextes plus globaux »6.

Les dynamiques d'innovation sociale et territoriale reposent donc sur un système d'acteurs pluriels et en interaction, qui par la confrontation de savoirs multiples et la mobilisation des ressources territoriales et réticulaires, construisent des solutions sociales et contribuent par là-même au développement du territoire. Plusieurs questions se posent alors :

· Quels sont les facteurs d'émergence d'une innovation sociale ?

· Dans quelle mesure les processus d'hybridation des savoirs favorisent-t-ils la capacité créative des acteurs ?

· Quels sont les objets (outils, formes organisationnelles, moyens humains et financiers) qui permettent de diffuser et de pérenniser une dynamique territoriale de l'innovation sociale ?

Cette recherche s'attachera à questionner le système d'acteurs bretons, les mécanismes d'hybridation (logiques, moyens) et la mobilisation des ressources à l'oeuvre dans le processus d'émergence d'une innovation sociale afin d'analyser la capacité créative de ces réseaux. Plus précisément, nous chercherons à répondre à la question suivante :

Dans quelle mesure les acteurs d’un territoire peuvent-ils impulser et pérenniser un éco-système porteur d'innovations sociales ?

Contexte et objectifs de la recherche

La Région Bretagne soutient depuis plusieurs années le développement des initiatives innovantes socialement, en définissant l'innovation comme un enjeu central du développement économique et social du territoire.

Dans le cadre du programme de recherche partenariale ASOSC « La Fabrique du Social, Expérimentation et Innovation Sociale » (2010-2012), les équipes de l’ARS – UBO, ESO Rennes 2 , CCB-CERCOOP et la Chambre régionale de l’économie sociale, en lien avec le groupe de réflexion initié par Bretagne Développement Initiative (BDI, agence économique de la région Bretagne), ont initié une recherche sur les processus collectifs de mobilisation des savoirs dans la construction de nouvelles réponses à des questions sociales.

Dans le prolongement de ces travaux, nous nous proposons par cette thèse de comprendre les dynamiques territoriales de l'innovation sociale à partir de l'analyse de la capacité créative des réseaux et de leur impact sur le développement des territoires.

Nous proposons de traiter cet objet à partir de trois axes de réflexion :

1. Comprendre les systèmes d'acteurs et les mécanismes d’hybridation (logiques d’action et ressources) à l’oeuvre ;
De quelle manière des acteurs aux logiques plurielles parviennent-ils à dépasser leurs positions individuelles dans un objectif commun ?

2. Analyser la mobilisation des ressources territoriales et réticulaires (outils, compétences, moyens) ;
Dans quelle mesure les acteurs locaux interagissent-ils avec les territoires et leurs réseaux pour faire émerger et pérenniser des innovations sociales ?

3. Mesurer l'appropriation par les acteurs locaux des modèles de développement humain durable (Inclusion sociale, qualité environnementale, solidarité et utilité sociale).
Dans quelle mesure l'émergence d'une innovation sociale favorise le développement humain et durable sur les territoires ?

Références bibliographiques

1 Castel R., « La montée des incertitudes. Travail, protection, statut des individus », Coll. La couleur des idées, Du Seuil, 2009

2 Réseau Québécois en Innovation Sociale, « Favoriser l'émergence et la pérennisation des innovations sociales au Québec- Synthèse des travaux de la communauté d'intérêt sur l'innovation sociale », avril 2011, P.10.

3 Joseph SHUMPETER, Théorie de l’évolution économique, Dalloz, 1935

4 La 27e Région, « Voyage dans l'innovation sociale scandinave », Juin 2010.

5 Programme de l'Union européenne pour le changement social et l'innovation sociale (2014-2020), http://europa.eu/legislation_summaries/employment_and_social_policy/eu2020/em0053_fr.htm, consulté le 26/09/2012 à 11h01

6 FONTAN J-M, KLEIN J-L ,TREMBLAY DG, « Innovation et société : pour élargir l’analyse des effets territoriaux de l’innovation », Géographie, économie et société, 2004, pp.115-128.